vendredi 6 mars 2009

Apprentissage de la lecture :
une démonstration expérimentale et théorique de la supériorité de la méthode phonique synthétique (alphabétique) sur toutes les autres approches pédagogiques.
novembre 2006
Ghislaine Wettstein-Badour
copyright G Wettstein Badour novembre 2006
fransya@fransya.com
le document original peut être envoyé sur simple demande

Résumé de l’étude
Les scientifiques qui ont étudié les mécanismes mis en œuvre dans la lecture s’accordent sur le fait que l’apprentissage explicite du lien qui unit les graphèmes aux phonèmes est indispensable à la compréhension du langage écrit. Ce point étant acquis, il est désormais indispensable de comparer l’efficacité des deux approches possibles de l’apprentissage du code alphabétique : la méthode phonique synthétique (alphabétique) qui part des correspondances grapho-phonémiques apprises pour construire des mots et des phrases ou la méthode phonique analytique (semi-globale, mixte ou intégrative) qui les met en évidence à partir de mots dont le sens est connu.
Cette étude a pour but d’apporter des preuves de la supériorité des méthodes phoniques synthétiques grâce aux résultats obtenus par des élèves pratiquant l’une ou l’autre de ces pédagogies et de mettre en évidence les raisons de leur plus grande efficacité à l’aide des connaissances dont nous disposons actuellement dans le domaine de la neurologie cognitive et de la vision rapprochée.

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Tous les scientifiques qui ont étudié les mécanismes neurologiques conduisant à la compréhension du langage écrit s’accordent sur le fait que la connaissance du code de correspondance entre les sons de la langue orale et les signes qui les représentent constitue une étape incontournable dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. De très nombreux travaux ont mis en évidence l’importance de la discrimination des phonèmes dans les langues alphabétiques et la nécessité de savoir assembler les signes qui les représentent pour former les mots et accéder à leur sens. Un pas très important a été franchi lorsqu’il a été admis, au niveau de la communauté scientifique, que l’apprentissage du code alphabétique était plus efficace quand son approche était pratiquée de manière systématique et explicite.

Cependant, il existe deux possibilités d’apprentissage explicite du code alphabétique :

- apprendre de manière systématisée les correspondances entre les graphèmes et les phonèmes ; c’est ce que les auteurs anglo-saxons appellent la méthode phonique synthétique désignée en France sous le nom de méthode alphabétique ;
- découvrir les liens entre graphèmes et phonèmes à partir de mots dont le sens est connu : il s’agit alors de la méthodes phonique analytique qui équivaut à nos diverses pédagogies semi-globales (également appelées mixtes ou, plus récemment, intégratives)

La question qui se pose maintenant n’est donc plus de savoir s’il faut ou non connaître le code alphabétique pour lire mais de s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour en optimiser l’apprentissage.

Un certain nombre de chercheurs (17), essentiellement des spécialistes de neuro- psychologie cognitive, ont cosigné avec Franck RAMUS un texte paru sur son site (*1) et dans le Monde de l’éducation de mars 2006 sous le titre « Le point de vue de chercheurs sur l’enseignement de la lecture ». Ils affirment : « du moment que le déchiffrage est enseigné systématiquement, il importe peu que l’approche soit plutôt analytique (du mot ou de la syllabe vers le phonème) ou synthétique (du phonème vers la syllabe et le mot) ». Cette prise de position figure de nouveau dans une publication d’octobre 2006 titrée « Il n’y a pas lieu d’imposer une unique méthode d’enseignement de la lecture » sous la signature de Franck RAMUS et Rémi BRISSAUD (*2) ainsi que de 23 personnalités de la recherche en neurosciences cognitives et en pédagogie.

Or, les éléments dont nous disposons aujourd’hui permettent de démontrer que cette affirmation est inexacte. C’est le but de cette publication qui s’appuie sur deux types de preuves : d’une part, la voie expérimentale par la comparaison des résultats obtenus avec chacun de ces deux modes opératoires et, d’autre part, une synthèse des apports de la neurophysiologie en ce domaine et des travaux sur la vision qui permettent de comprendre pourquoi ces deux techniques d’apprentissage ne donnent pas des résultats équivalents.

1- la voie expérimentale

Nous comparerons les résultats obtenus par des groupes d’élèves auxquels le code alphabétique a été enseigné de deux manières différentes :

- les uns avec la méthode phonique synthétique ;
- les autres par la méthode phonique analytique.

2- Les apports de connaissances issues de la neurologie et des travaux sur la vision.

Ils permettent de comprendre pourquoi les résultats obtenus par ces deux modes opératoires donnent un très net avantage aux pédagogies phoniques synthétiques.

Il est surprenant que l’ensemble de ces éléments ne soient pas actuellement pris en compte car ils permettent de trancher le débat sur l’efficacité comparée des pédagogies conduisant à l’apprentissage explicite du code alphabétique par la voie synthétique ou la voie analytique. Une des raisons pouvant expliquer cette situation est que les arguments scientifiques nécessaires à l’explication de la supériorité de l’approche phonique synthétique ne se limitent pas aux apports des neurosciences cognitives. Celles-ci fournissent, certes, des éléments d’une importance capitale mais qui ne permettent pas, à eux seuls, de faire un choix éclairé entre les diverses approches de la pédagogie de la lecture. Il est indispensable de leur adjoindre les conclusions de l’ensemble des recherches portant sur les facteurs qui entrent en jeu dans la neurologie du langage et la perception oculaire et, tout particulièrement, la vison rapprochée. La prise en compte de l’ensemble de ces éléments permet de mieux comprendre comment le débutant ou le lecteur expert passent de la vision d’un texte à la compréhension de son contenu et explicite les raisons des constatations issues de l’expérimentation.


1- Etude expérimentale


De nombreuses études pratiquées dans des classes où l’apprentissage se faisait de manières différentes permettent de montrer que l’approche de la lecture par la méthode phonique synthétique donne des résultats nettement supérieurs à ceux qui sont obtenus par la méthode phonique analytique. Ces travaux ont été essentiellement exécutés chez des élèves anglophones. Ceci ne constitue pas un inconvénient mais, au contraire, un avantage puisque la langue anglaise est une des plus difficiles des langues actuellement parlées et écrites en ce qui concerne l’apprentissage des correspondances entre graphèmes et phonèmes. Ce qui simplifie l’apprentissage chez les anglophones ne peut donc être que bénéfique dans des langages phonologiquement moins complexes.

Le rapport du National Reading Panel “Teaching Children To Read” (*3)

Publié en décembre 2000, ce rapport, très connu, a permis de mesurer concrètement l’importance du temps phonologique dans la lecture, y compris dans la compréhension du sens du texte. Il avait essentiellement pour but de comparer les résultats obtenus par les méthodes globales (whole language) et l’ensemble des pédagogies pratiquant l’apprentissage explicite du code alphabétique. Mais son cahier des charges n’avait pas été conçu pour comparer entre elles de manière statistiquement valable les différentes techniques d’apprentissage explicite du code alphabétique. Il ne constitue donc pas un document exploitable pour trancher entre ces deux types de techniques pédagogiques. Il est donc très surprenant que les chercheurs cosignataires des textes cités ci-dessus s’appuient sur ce document qui n’apporte pas de réponse à la question qu’ils se posent et qu’ils négligent, par contre, de prendre en compte les résultats de l’étude menée dans le comté de Clarkmannann, publié le 11 février 2005, qui a pour objectif de juger de l’efficacité comparée des méthodes phoniques.

Le rapport présenté par Rhona JONHSTON (department of Psychology, University of Hull) et Joyce WATSON (School of psychology, University of St Andrews) intitulé « The effects of synthetic phonic teaching on reading and spelling attainement, a seven year longitudinal study » (*4) comporte, en effet, des conclusions sans ambiguïté. Il montre clairement la supériorité des méthodes phoniques synthétiques dans l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe (les études qui figurent dans ce rapport ont été récemment analysées et validées par des statisticiens *5).

Effets de l’apprentissage phono-synthétique sur les résultats de l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe

Le rapport présenté par Rhona JONHTSON et Joyce WATSON porte sur 304 élèves d’Ecosse scolarisés dans 13 classes de primaire1 et répartis en 3 groupes. L’étude a suivi ces élèves pendant 7 ans, soit pendant la totalité de leur enseignement primaire (classe 1 à 7). Elle a donné lieu, au cours de ces années, à des évaluations faites à partir de tests standardisés. Ceux-ci ont permis de mesurer les connaissances des élèves par rapport aux acquis attendus pour chaque tranche d’âge.

Ce rapport permet de comparer les résultats de 3 types d’approches pédagogiques clairement identifiées.

Méthodologie

Le 1er groupe a utilisé la méthode phonique synthétique

L’enfant commence par apprendre les correspondances entre les graphismes et les sons qu’ils représentent. L’apprentissage met en œuvre des pratiques pédagogiques « multi-sensorielles », par exemple des lettres à manipuler, des lettres magnétiques pour construire des mots, différents types de travaux sur les sons, etc. Dès que les enfants connaissent quelques associations phono-graphémiques, ils apprennent à les lier entre elles pour former des mots, puis des phrases, qu’ils peuvent lire sans aide puisqu’ils sont composés à partir de couples phono-graphémiques connus. Ils sont d’abord mis en présence de correspondances simples (une lettre pour un son) puis, ensuite, abordent la représentation écrite des phonèmes traduits par plusieurs lettres.

Le programme standard proposé aux élèves comportait un travail de 20 minutes chaque jour réparti sur 16 semaines et contenait des exercices destinés à améliorer la reconnaissance et la discrimination des sons ainsi que des exercices moteurs et sensoriels destinés à familiariser les enfants avec la forme des lettres (utilisation de lettres mobiles et rugueuses à manipuler lors de l’apprentissage des graphèmes).

Il est très important de noter que ce groupe était constitué d’enfants qui appartenaient à des classes sociales défavorisées et disposaient, au début de l’étude, d’un niveau linguistique inférieur à la moyenne.

Le 2ème groupe a utilisé la méthode phonique analytique

C’est la méthode très majoritairement utilisée en Angleterre, comme en France.
L’enfant doit reconnaître des mots qui lui sont le plus souvent présentés dans le contexte d’une histoire. Après une première approche de la lecture pratiquée à partir de mots dont le sens est indiqué à l’enfant, le travail menant à l’identification des graphèmes et de leur correspondance phonologique est ralisé à partir de graphèmes identiques contenus dans ces mots.

L’apprentissage du code alphabétique est donc précédé d’une période au cours de laquelle l’élève est mis en contact avec des mots dont on lui fournit la signification. En France, dans la très grande majorité des cas, les mots sont présentés sur des étiquettes que l’enfant doit reconnaître à partir d’indices destinés à lui permettre de les différencier les uns des autres. Cette pratique est généralisée dans les classes maternelles. Elle correspond au stade où l’enfant est mis en présence de mots dont il connaît le sens sans pouvoir identifier les symboles graphiques qui les composent. D’abord réservée aux grandes sections de maternelle, cette pratique est maintenant utilisée dès la petite section. Elle est poursuivie au CP où l’enfant doit reconnaître son prénom et ceux de ses camarades, des mots-outils indiqués dans son livre de lecture ou proposés par l’enseignant et repris, là encore, sur des étiquettes avec lesquelles il doit reproduire des phrases. Le travail portant sur le code s’appuie sur ces mots-outils et sur ceux qui sont choisis par le maître ou sont présentés isolément dans chaque page du livre de lecture. L’enfant exécute donc son travail d’apprentissage du code alphabétique à partir de mots dont il connaît la signification orale. Suivant les cas et l’avancement de l’apprentissage, il peut ou non connaître les autres graphèmes qui composent chaque mot. Cette technique est donc strictement identique à celle auxquels ont été soumis les élèves du second groupe présenté dans le rapport JONHSTON-WATSON.

Le 3ème groupe a utilisé la méthode phonique analytique avec supplément d’apprentissage portant sur le développement de la prise de conscience phonologique.

Les élèves ont été soumis au même mode d’apprentissage que ceux du groupe précédent mais ont, en plus, bénéficié d’exercices oraux destinés à développer leur conscience phonologique mais sans introduction de la forme graphique du son.

A la fin de la première année scolaire, le travail proposé aux élèves du groupe 1 a été appliqué aux 2 autres groupes pendant que les élèves du groupe 1 perfectionnaient l’apprentissage des associations phono-graphémiques déjà vues plutôt que d’apprendre de nouvelles associations lettres/sons.


Analyse des résultats

Les résultats obtenus, étudiés avec rigueur, ne laissent planer aucun doute.

A la fin de la période des 16 semaines d’entraînement, les tests standards appliqués aux élèves des trois groupes et à ceux des groupes de référence ont montré que les enfants le groupe 1 présentaient pour la lecture des mots, une avance de 7 mois par rapport à leur âge chronologique. Ils avaient également 7 mois d’avance par rapport aux enfants de leur âge et 8 à 9 mois d’avance sur les enfants des deux autres groupes qui avaient utilisé des méthodes analytiques. Les groupes 2 et 3 avaient, quant à eux, 2 à 3 mois de retard en orthographe par rapport aux connaissances attendues pour leur âge chronologique.

Au cours de l’année 2 du primaire, certains enfants des groupes 2 et 3 ont dû recevoir une aide supplémentaire. Ce ne fut pas nécessaire pour les enfants du groupe 1.

A la fin du primaire (année 7), les enfants du groupe 1 avaient 3 ans et 6 mois d’avance sur la moyenne de leur groupe d’âge en lecture, 1 an et 8 mois en orthographe et 3,5 mois en compréhension de textes. Dans ce dernier domaine, le gain, très manifeste au début, devient moins visible quand les enfants grandissent. Ceci s’explique par le fait que lorsque les exigences linguistiques augmentent, la place laissée aux acquis liés à l’environnement joue un rôle plus important. Les enfants des milieux défavorisés sont alors pénalisés par un manque de vocabulaire et un accès plus difficile à la culture. Ceci étant, il est remarquable de constater que même si l’avance est peu sensible, ces enfants qui avaient au départ de l’étude un déficit de connaissances linguistiques sont cependant parvenus à dépasser la moyenne de leur groupe d’âge. Ces constations mettent en évidence le fait que l’apprentissage du code phono-graphémique doit s’accompagner d’un travail intensif sur le vocabulaire et la syntaxe de la langue. Le rapport JONHSTON-WATSON ne manque pas de le signaler.

En résumé, le gain apporté par l’apprentissage synthétique du code alphabétique porte donc sur tous les aspects de la langue écrite, y compris l’orthographe. Il se manifeste dès le début du primaire et va en s’accentuant progressivement.

Il est très important de noter que lorsque le programme synthétique proposé au groupe 1 est appliqué aux enfants des groupes 2 et 3 à la fin de la classe de Primaire 1, ces 2 groupes progressent de manière significative mais leurs résultats restent cependant moins bons que ceux des élèves qui ont commencé avec la méthode phonique synthétique seule appliquée dès le début de l’apprentissage.

A la fin du primaire, ceux qui ont commencé dès le début de l’apprentissage par une méthode phonique synthétique sont plus performants en lecture (en particulier les filles) et en orthographe (majoritairement les garçons) que ceux chez lesquels le programme phonique synthétique a été introduit plus tardivement.

En résumé, ces études apportent la preuve, grâce aux observations chiffrées des résultats obtenus par les élèves soumis à trois types de pédagogies différentes, que l’apprentissage de la lecture en partant de l’étude du lien unissant phonèmes et graphèmes donnent des résultats supérieurs à ceux obtenus en proposant l’apprentissage du code alphabétique à partir des mots, même si on associe à cette technique des exercices phonologiques ou si on lui adjoint ultérieurement un apprentissage systématique des liens entre les sons et les graphismes.

Ces travaux indiquent également que la méthode phonique synthétique donne de meilleurs résultats quand elle est proposée tôt, avant toute autre forme d’apprentissage. Ils précisent que l’âge le plus favorable pour cet apprentissage se situe autour de 5 ans, ce qui correspond en France, pour la très grande majorité des enfants, à la grande section de maternelle. Le rapport insiste également sur le fait que cette pédagogie doit s’accompagner en permanence, d’un travail systématique destiné à enrichir le vocabulaire et à favoriser la compréhension du sens des textes chez tous les enfants.

Cet ensemble d’éléments conduit à un certain nombre de conclusions.

- 1- L’apprentissage du code alphabétique doit être commencé vers 5 ans (ce qui correspond en France à la grande section de maternelle) et doit être exclusivement proposé à partir des correspondances entre phonèmes et graphèmes. La progression choisie doit permettre rapidement la lecture de mots et de phrases construites uniquement avec les graphèmes connus et en cours d’apprentissage (ce qui est beaucoup plus facile à réaliser en français qu’en anglais où le nombre de graphèmes correspondant aux phonèmes est environ dix fois plus élevé).

- L’apprentissage des liens entre graphèmes et phonèmes ne doit pas être accompagné et, à plus forte raison, précédé, par la reconnaissance de mots dont le sens est donné à l’enfant.

- L’apprentissage du code alphabétique doit mettre en œuvre des techniques sensori-motrices pour faciliter sa mémorisation.
Il apparaît clairement à la lecture de ce rapport que les méthodes synthétiques les plus efficaces sont celles qui permettent à l’enfant de manipuler les lettres qui représentent les phonèmes et de les assembler pour construire des mots avec les éléments connus. Elles rejoignent sur ce point les conclusions du NICHD qui avaient également signalé l’augmentation d’efficacité lorsque les méthodes synthétiques étaient associées à l’utilisation de lettres à manipuler pour les associer aux phonèmes qu’elles représentent.

- L’apprentissage du code alphabétique doit impérativement s’accompagner d’un travail d’enrichissement du vocabulaire et de maniement oral de la langue pour en perfectionner l’usage syntaxique et grammatical.

Témoignages des enseignants


Ce rapport fait également état de témoignages recueillis auprès des enseignants qui ont participé à cette étude.

Ils ont exprimé leur satisfaction sur 5 points essentiels :

La qualité des résultats obtenus

Les enseignants qui ont utilisé la méthode phonique synthétique ont signalé que les résultats obtenus par les élèves dans le domaine de la lecture (y compris au niveau de sa compréhension) et de l’orthographe sont très supérieurs à ceux auxquels ils parvenaient antérieurement.

La rapidité d’apprentissage et la durée de ses effets

Cette technique pédagogique accélère l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe. Les apprentissages sont durables et les effets de la méthode sont sensibles tout au long du primaire.

La supériorité de la méthode profite tout particulièrement aux élèves des milieux défavorisés

Les enseignants ont été frappés par le fait que les enfants des milieux défavorisés peuvent apprendre à lire et écrire aussi bien que ceux des milieux plus favorisés. Arrivés en fin du primaire, tous les enfants, y compris ceux des milieux défavorisés, conservent le bénéfice de cette pédagogie.

La rapidité du dépistage des enfants en difficulté

Les élèves en difficulté sont repérés beaucoup plus vite et peuvent recevoir précocement une aide adaptée.

L’attractivité de la méthode

Le contenu du programme phonique synthétique est très apprécié par les enfants car il leur permet de comprendre rapidement le principe des correspondances phono-graphémiques et de leurs assemblages. Ils prennent très vite conscience du fait qu’ils sont capables de lire des mots qu’ils n’ont jamais rencontrés lorsqu’ils en connaissent les éléments grapho-phonémiques.

Conclusions

Ces observations et résultats, en termes d’efficacité, contredisent donc formellement l’affirmation qui place sur un même pied d’égalité l’apprentissage du code alphabétique à partir de celui des liens qui unissent phonèmes et graphèmes ou son apprentissage à partir de mots connus.

On constate, en se limitant aux observations signalées dans les études citées ci-dessus, que celles-ci permettent de définir un cahier des charges contenant des constantes que toute pédagogie de la lecture devrait respecter :

- élimination de toute approche de la lecture par des mots à mémoriser (en particulier en classes maternelles) avant de commencer l’apprentissage du code alphabétique ;

- apprentissage exclusif des liens entre graphèmes et phonèmes et combinaisons de ces associations pour lire et écrire des mots et des phrases ne contenant que les graphèmes appris et celui (ou ceux) en cours d’apprentissage ;

- nécessité de l’introduction d’exercices sensori-moteurs et d’une manipulation des graphèmes (lettres mobiles, lettres rugueuses) pour faciliter la mise en place du lien son/graphisme et de l’assemblage, avec ces lettres, des graphèmes entre eux pour former des mots ;

- nécessité de l’introduction d’exercices de discrimination des sons associés aux manipulations des lettres ;

- nécessité d’un travail sur la langue, mené oralement en parallèle avec l’apprentissage du code, afin d’enrichir le vocabulaire, de développer la maîtrise de la syntaxe et la compréhension de textes.

L’expérience prouve que ceci est réalisable. J’ai personnellement créé, à mon modeste niveau, il y a plus de 10 ans (dépôt légal à la Société des Gens de Lettres le 29 octobre 1996), donc antérieurement aux pédagogies proposées dans le rapport étudié ci-dessus, une méthode d’apprentissage de la lecture et de l’écriture qui répond aux mêmes principes de base que ceux présentés ici auxquels j’ai ajouté un certain nombre d’autres éléments : entraînement systématique à la formulation et au résumé par l’élève de ce qu’il a lu dès que la progression de la pédagogie permet de proposer de petits textes construits volontairement avec un vocabulaire riche, exercices graphiques, écriture et dictée de phrases au cours de chaque leçon. S’y ajoute, pour des raisons de neurophysiologie que seront envisagées ci-dessous, une présentation en noir et blanc pour optimiser les contrastes visuels et l’absence d’images. Les succès obtenus par les nombreux parents qui utilisent cette pédagogie et par les enseignants qui l’emploient dans leurs classes, montrent clairement l’efficacité d’une telle démarche au niveau de la lecture, de l’acquisition du goût de lire dès le début de l’apprentissage, de la qualité de l’écriture, et de l’acquisition de l’orthographe de base. Comme les enseignants anglais qui en ont fait état, j’ai pu constater l’intérêt que les enfants portent à ce type d’apprentissage dans lequel il leur est demandé une participation active. Leur meilleure récompense est la certitude, qu’ils acquièrent très vite, de détenir les clés qui leur permettent de percer le mystère de l’écrit. Je souhaite donc vivement aujourd’hui que des études comparatives entre cette approche strictement synthétique de l’apprentissage explicite du code alphabétique et les pédagogies actuellement utilisées qui partent de mots dont le sens est connu de l’élève pour accéder à ce code, soient réalisées et contrôlés par des autorités indépendantes dont la mission serait d’évaluer, en fin de CP, les résultats obtenus par les élèves en lecture, compréhension de textes, écriture et orthographe avec chacun de ces deux modes opératoires. Les résultats de cette étude apporteraient des informations objectives d’une grande utilité pour les pédagogues.


2- Justifications scientifiques de la méthode phonique synthétique dans l’apprentissage du code alphabétique.


La seconde partie de ce travail porte sur les connaissances issues de la neurophysiologie cérébrale et des caractéristiques la vision qui permettent de comprendre pourquoi l’apprentissage du code alphabétique à partir de celui des correspondances phono-graphémiques et de leurs possibilités d’assemblage est plus efficace que celui qui aboutit à la connaissance du code en partant des mots.

Il n’est plus possible aujourd’hui de déclarer que la recherche scientifique ne fournit pas d’éléments suffisants pour trancher entre l’efficacité les différentes méthodes d’apprentissage explicite du code alphabétique. Certes, nous sommes encore bien loin d’avoir percé tous les mystères de ce sujet ultra complexe mais les éléments dont nous disposons sont suffisants pour permettre de comprendre les raisons de la supériorité des méthodes phoniques synthétiques sur toutes les autres pédagogies. Pour y parvenir, il est indispensable d’avoir présents à l’esprit un certain nombre d’éléments essentiels qui se rattachent tous à des travaux scientifiques dont les principaux figurent dans la bibliographie ci-jointe.

La perception des phonèmes

Aucun scientifique ne remet en cause le fait que la lecture nécessite la mise en correspondance des signes graphiques avec les sons qu’ils symbolisent. La plupart des pédagogues ont pris conscience de cette réalité et l’admettent aujourd’hui. Dans les langues alphabétiques auxquelles se limite ce propos, l’équivalence du lien entre les sons et les lettres s’établit au niveau des phonèmes et des graphèmes. Il est donc indispensable, pour lire et écrire, de savoir identifier les uns et les autres. La nécessité d’acquérir une bonne conscience phonologique et de pouvoir discriminer les phonèmes qui composent la langue orale a donné lieu à de très nombreux travaux dont certains sont très récents.
Par contre, la perception des graphèmes qui constitue le point essentiel permettant de comprendre les raisons de la supériorité des méthodes phoniques synthétiques sur toutes les autres approches d’apprentissage du code alphabétique, n’a pas été, à ma connaissance, suffisamment prise en compte dans les réflexions conduites sur ce sujet. Je m’y attarderai donc davantage.

La perception des graphèmes

Dans les écritures alphabétiques la phrase écrite reproduit la linéarité de la chaîne sonore. Elle est formée de suites de signes séparées par des espaces vides qui représentent les silences entre les mots de la langue orale.

Les signes graphiques qui composent les mots ne diffèrent souvent que par de faibles différences morphologiques ou d’orientation spatiale. Pour identifier ces différences, l’œil ne peut avoir recours qu’à la vision rapprochée car elle seule permet de discriminer deux points l’un de l’autre.

L’identification d’un objet visuel commence par l’analyse par la rétine de toutes les caractéristiques qui le composent : forme, orientation dans l’espace, longueur d’onde, contrastes des unités de base qui le composent. Ces données sont transmises aux aires cortico-occipitales par des canaux séparés. Deux points ne peuvent être discriminés que si leur image sur la rétine se projette sur deux cônes différents. C’est au niveau de la fovéa, située elle-même au centre de la macula (dont la surface couvre environ 2 mm² au centre de la rétine), que la perception est la plus fine puisque c’est à cet endroit précis que les cônes sont les plus petits, les plus nombreux et les plus proches les uns des autres. Par contre, plus on s’éloigne du centre de la macula, plus la distance entre les cônes augmente et moins la vision est précise. La nécessité d’une discrimination fine des signes graphiques conduit le système oculo-moteur à faire en sorte que l’axe du regard soit centré en permanence sur l’élément à discriminer. Cette exigence, associée au caractère linéaire de l’écrit, nécessite un balayage du texte qui est exploré par l’œil lors des pauses qui séparent les saccades et micro-saccades oculaires.

La surface du texte explorée par la macula lors de chaque pause oculaire est estimée en moyenne à 2 % du champ visuel, soit une distance angulaire d’environ trois degrés. Quant à la fovéa, la distance moyenne à laquelle s’effectue la lecture, ne lui permet d’explorer qu’environ un degré du champ visuel. Ces chiffres dépendent à la fois des caractéristiques du système optique qu’est l’œil, de la distance qui sépare la fovéa de sa cible, des dimensions de la calligraphie utilisée, de l’intensité de la lumière sur le support, des contrastes de couleur.

Les scientifiques s’accordent sur le fait que le nombre de lettres qui peuvent être vues ensemble lors de chaque pause oculaire par la macula permet la vision, dans une écriture de taille courante et dans des conditions normales d’éclairement, d’un espace occupé par 6 à 8 lettres. La fovéa seule ne couvre qu’un nombre beaucoup plus réduit de caractères (2 à 3). Ce sont eux qui sont vus avec le maximum de précision lors de chaque centrage de l’axe du regard. Plus l’image qui se projette sur la rétine s’éloigne du centre de la fovéa, moins la discrimination visuelle est bonne. Cette caractéristique est liée à la diminution du nombre des cônes au fur et à mesure où l’on s’éloigne de la fovéa. Les caractères situées de part et d’autres de la fovéa, bien que vus avec une perception moins fine que le caractère central, peuvent cependant être plus ou moins facilement décryptés s’ils comportent des particularités morphologiques assez nettes pour constituer des indices permettant leur identification. Mais cette pratique comporte une marge d’erreur qui augmente d’autant plus que les signes à identifier se situent plus loin du centre de la fovéa. Si les diverses suggestions envisageables ne sont pas suffisantes pour permettre de comprendre le contenu du champ visuel exploré, la saccade oculaire est complétée par des micro-saccades d’ajustement destinées à placer l’image de chaque lettre mal perçue au centre de la fovéa afin de lever les ambiguïtés et de permettre de trancher entre les diverses solutions possibles.

L’importance du rôle de la vision fovéale apparaît dans de nombreuses recherches effectuées sur les mouvements de l’œil pendant la lecture. Une des particularités des dyslexiques est d’éprouver des difficultés pour analyser les caractéristiques visuelles des lettres. On constate fréquemment, chez eux, un élargissement du champ maculaire. Cet élargissement augmente le nombre de lettres vues lors de chaque pause mais diminue la netteté de la vision des lettres entourant celle dont la projection se fait sur la fovéa. En éloignant leur projection du centre de la fovéa, l’élargissement du champ oculaire diminue la qualité de l’analyse du graphisme sur les lettres périphériques. La précision de celle-ci diminue et le rattachement à la signification phonologique correspondante devient plus difficile à établir. Cette situation est rendue responsable d’une partie de leurs difficultés de lecture et certaines rééducations orthophoniques intègrent dans leur pratique des exercices destinés à réduire, chez les dyslexiques, la largeur du champ visuel utilisée dans la lecture.

De nombreux travaux ont montré que, contrairement à ce qui est trop souvent affirmé, les meilleurs lecteurs sont ceux qui font très peu appel au contexte rapproché et aux processus d’anticipation. Ils n’essaient pas de prédire la suite du texte ou de « reconnaître » les mots mais ils traitent le texte lettre après lettre en faisant porter tout l’effort sur l’identification de la forme de chaque signe graphique. Ces études ont révélé que les meilleurs lecteurs (ceux qui lisent le plus rapidement en comprenant le sens de leur lecture) sont ceux qui sont capables d’identifier de très petites variations de formes dans un mot.

La réduction du champ oculaire aux dimensions du champ maculaire et essentiellement de la fovéa, en optimisant la reconnaissance de la forme des éléments à traiter, réduit au maximum le recours aux hypothèses concernant la forme des lettres et minimise donc le risque d’erreurs de décryptage. Ces observations sont en accord avec les études qui montrent que le déclenchement des saccades, lié à la prise de conscience des informations contenues dans chaque pause oculaire, est d’autant plus rapide que le champ oculaire utilisé est plus étroit.

De la même manière, l’observation montre que l’enfant qui lit difficilement a naturellement tendance à suivre sa ligne de lecture avec son doigt ou même à cacher la lettre précédente et suivante de celle qu’il lit, ce qui revient à limiter la projection des lettres analysées aux dimensions du champ fovéal.

L’utilisation optimisée de la vision fovéale et péri-fovéale constitue donc une étape fondamentale dans les processus qui mènent à la découverte du lien entre graphèmes et phonèmes dans la lecture.


La découverte du sens

On sait déjà depuis une dizaine d’années que la compréhension du contenu de chaque pause oculaire joue un rôle prépondérant dans le déclenchement de la saccade suivante. Elle lève les phénomènes d’inhibition qui, en cas de non compréhension, bloquent la saccade et ne permettent pas à l’œil de se fixer sur la cible suivante. La qualité du décryptage constitue ainsi une des conditions indispensables à la fluidité de la lecture.

La synthèse des travaux effectués sur ce sujet permet d’avoir une vision assez précise de la manière dont le lecteur passe de la compréhension du lien entre graphèmes et phonèmes à la découverte du sens des mots.

Pour simplifier l’expression, on regroupera ici toutes les formations cérébrales qui participent à la découverte du sens des mots sous le terme de module sémantique du cerveau. Elles sont reliées entre elles et aux structures phonologiques par un immense réseau, vraisemblablement de type connexionniste. Cette architecture, reliant des nœuds interconnectés semble, en effet, être la seule, dans l’état actuel des connaissances, en mesure de rendre compte de l’extrême complexité des tâches à accomplir.

La compréhension d’un texte nécessite à la fois :

- d’intégrer les informations concernant les liens qui unissent les signes visuels aux sons qu’ils représentent ;

- de regrouper ces informations et de les comparer avec les souvenirs stockés en mémoire, qu’il s’agisse d’éléments phonologiques ou d’éléments mémorisés sous leur forme orthographique ;

- d’utiliser le lexique du vocabulaire oral et écrit ;

- de faire intervenir dans la découverte du sens les connaissances grammaticales qui permettent d’arbitrer entre les différentes formes orthographiques des mots ;

- de permettre la fixation de l’attention et la mémorisation des éléments compris pour les intégrer dans des ensembles de plus en plus complexes afin de passer du lien phono-graphémique à la compréhension du mot, de la phrase et du texte.

Ces interactions permanentes entre les structures neuronales font que les phénomènes de décryptage et de compréhension sont indissociables. Toute information erronée issue du traitement phonologique perturbe la recherche de compréhension du sens des mots lus et toute information venue du niveau le plus élevé de traitement se répercute sur celle générée par les niveaux inférieurs. Le module sémantique, situé, lui aussi, dans l’hémisphère gauche, travaille de manière synthétique. Les informations qui entrent dans ses circuits vont donc, à tous les niveaux de traitement, être rassemblées en partant du plus simple pour aller vers le plus complexe jusqu’à ce que soit trouvée une correspondance parfaite entre ces données et un mot strictement équivalent stocké dans le lexique des mots du langage oral et/ou dans celui de leur forme orthographique. La rétine périphérique qui détecte les espaces entre les mots indique ou doit commencer et finir la synthèse de chaque mot à lire.

La seconde conséquence de l’interconnexivité des réseaux de neurones est le fait que les structures du module supérieur exercent un effet facilitateur pour simplifier et accélérer le travail du module phonologique. Cette facilitation est réduite au minimum lorsque le décryptage fournit des informations suffisantes pour accéder à la compréhension. Par contre, lorsque la découverte de la correspondance phono-graphémique ne permet pas la compréhension d’un mot, le module supérieur intervient pour suggérer des solutions aux structures phonologiques. Si, par exemple, le module phonologique a identifié les premières lettres d’un mot et ne parvient pas à découvrir la correspondance phonologique des graphèmes suivants, le module supérieur lui suggère toutes les combinaisons dont il dispose en mémoire correspondant à des mots qui commencent par les éléments déjà identifiés. Au fur et à mesure où le module supérieur rassemble les informations qui lui viennent du module phonologique, les circuits qui conservent dans leur mémoire la trace des mots commençant par la ou les mêmes éléments graphiques sont activés et rappellent tous les mots connus qui commencent par le ou les mêmes signes graphiques sont rangés dans le même ordre. Grâce à l’interconnexivité des circuits, ces éléments rappelés parviennent au module phonologique et l’aident à trancher entre les diverses solutions possibles pour identifier les lettres. On se trouve alors dans une situation d’hypothèses de sens suggérées par le module supérieur pour venir au secours des défaillances du module phonologique. Plus le travail avance dans le mot, plus le nombre de solutions diminue pour arriver à un choix unique si le lecteur possède dans sa mémoire un mot strictement équivalent sur le plan lexical et grammatical. Dans le cas contraire, il peut simplement identifier chaque graphème et doit, pour découvrir le sens du mot, faire appel à une aide extérieure (explication par un tiers, consultation du dictionnaire). Chez le lecteur en difficulté, l’aide apportée par le module supérieur est beaucoup plus importante que chez le lecteur expert où l’effet facilitateur n’intervient pratiquement pas car il utilise très peu le contexte rapproché pour découvrir le sens du texte. On comprend bien ainsi pourquoi les meilleurs lecteurs sont ceux qui optimisent leur lecture en réduisant leur champ visuel aux dimensions du champ fovéal. Déchargé de l’aide à apporter aux structures phonologiques, le module sémantique peut alors se consacrer à sa fonction essentielle : intégrer les éléments décryptés dans le contexte grammatical du texte et mémoriser les éléments synthétisés pour les inclure dans des ensembles de plus en plus vastes. Par contre, lorsque ce processus de facilitation est systématiquement utilisé, il constitue, certes, une aide mais il fait aussi courir au lecteur le risque de retenir des hypothèses inexactes si le module phonologique ne parvient pas à trancher correctement parmi les solutions qui lui sont proposées.

La prise en compte de l’ensemble des éléments concernant la vision fovéale et des effets de facilitation apporté par le module sémantique dans la recherche du sens de la lecture permet de comprendre pourquoi les méthodes phoniques synthétiques d’apprentissage du code alphabétique sont plus efficaces que les méthodes phoniques analytiques. Pour y parvenir, il est nécessaire de comparer les conséquences de ces facteurs chez le débutant qui aborde la lecture par une méthode pratiquant l’apprentissage du code alphabétique avec une méthode synthétique et chez celui qui l’apprend à partir de mots dont le sens lui est connu.

L’apprentissage du code alphabétique à partir de couples grapho-phonémiques.

Cas des graphèmes uniques

Chaque graphème proposé isolément permet un centrage parfait de l’image de celui-ci sur la fovéa. Le travail mis en œuvre pour faciliter la mémorisation des caractéristiques visuelles concernant la morphologie et l’orientation des différents segments constitutifs du graphème atteint alors son plus haut niveau d’efficacité. Les possibilités de confusions, sans être nulles, sont réduites au minimum.

Les graphèmes composés de plusieurs signes graphiques ( an, au, on, ou, eau, oin, etc.) en raison du faible nombre de lettres qui les composent sont également traités par la fovéa mais seule la lettre dont l’image se projette sur le centre de celle-ci est vue de manière parfaite. Celles qui l’encadrent sont, en général, vues dans la même pause oculaire mais leur perception est moins nette. Elle peut donc donner lieu à des phénomènes d’interprétation (par exemple choix entre u/n, n/m, b/d, p/q, i/l). Cependant ceux-ci sont très limités dans la mesure où le lecteur ne rencontre que des mots et phrases ne contenant que le graphème qu’il est en train d’apprendre associé à ceux qu’il a appris antérieurement. Quand il est en présence d’un mot dans lequel il connaît tous les éléments graphiques, sa vision péri-fovéale n’a qu’un faible pourcentage de risques de confondre les graphèmes perçus.

L’apprentissage des graphèmes à partir de mots dont le sens est connu.

La situation est ici totalement différente.

Le graphème à apprendre se trouve dans un mot dont le sens est connu mais dans lequel sont présents des graphèmes inconnus. Plus le lecteur est débutant, plus le nombre de graphèmes inconnus est grand.

Le graphème isolé dans le mot par le maître est traité par le centre de la fovéa mais les graphèmes qui l’environnent, perçus par la vision péri-fovéale, entrent, lors de la même pause oculaire, dans les circuits cérébraux et vont donner lieu à une recherche de signification. Dans ce cas, l’effet facilitateur déclenché par le module sémantique est à son maximum et s’effectue à partir des seules données utilisables : les éléments visuels identifiables et la forme orale du mot. Le travail du module sémantique consiste alors à tenter de trouver les correspondances des signes graphiques inconnus avec les éléments sonores qui composent le mot. Lors de cette recherche au cours de laquelle il n’est pas guidé, le lecteur peut commettre des erreurs liées au fait qu’il éprouve, par exemple, des difficultés de discrimination des sons, d’identification et d’orientation des formes dans l’espace. Or, il ne faut pas oublier que 40 % environ des enfants de 5 à 6 ans présentent une ou plusieurs de ces difficultés. Le risque de générer des erreurs lors de ce travail de découverte des graphèmes est d’autant plus grand que le lecteur est plus inexpérimenté. Cette situation est celle que rencontrent les enfants lors de l’apprentissage de leurs prénoms ou de mot-outils qui leur sont présentés dans les classes maternelles françaises et en CP lors de l’emploi des méthodes de type semi-global ou mixte. A partir des informations auditives qu’on leur donne, les enfants cherchent à découvrir des correspondances phono-graphémiques qu’ils ne connaissent pas. La tâche est pratiquement impossible avec les prénoms, ceux-ci présentant des équivalences complexes et souvent atypiques entre sons et graphismes. Comment découvrir les liens qui existent entre le graphème « a » et le son qu’il représente dans Amélie, Antoine, Alexandre, Jean ou Paul ? Comment comprendre à quoi correspond le phonème « f » en regardant les prénoms Franck, François et Philippe, Joseph ou Ophélie ou le « c » dans Caroline, Cécile, Cyril, Christophe ou Charlotte ? On pourrait multiplier les exemples en ce sens. C’est pourtant ce travail, source de multiples erreurs et confusions, qui est demandé aux enfants dès la petite section de maternelle.

Les enfants se heurtent également à un deuxième type de difficulté lorsqu’un graphème simple connu fait partie d’un graphème complexe dans lequel il perd sa valeur phonologique propre pour constituer un autre phonème, comme, par exemple, le « a » dans les phonèmes « an, au, eau, aill » ou le « o » dans « oi, on, ou, oin », etc. Comment peut-on espérer leur faire acquérir la connaissance du code alphabétique en présentant dans les premières pages du livre de lecture les mots « mélanie » et « fantôme » ou le graphème « l » figurant à la fois dans les mots « le » et « elle » ? Cet exemple, tiré des premières pages d’un manuel d’apprentissage de la lecture actuellement très utilisé, n’est malheureusement pas isolé et des situations analogues se rencontrent dans la plupart des livres de CP.

L’apprentissage du code alphabétique à partir de mots connus conduit donc le lecteur à pratiquer spontanément au niveau de sa vision péri-fovéale un nombre élevé d’hypothèses pour avoir accès à la compréhension des graphèmes qu’il ne sait pas bien décrypter. Les risques de commettre des erreurs à ce niveau sont importants dans ce type d’approche car l’apprenti lecteur est perturbé par la présence de signes graphiques inconnus dont il va chercher à découvrir les équivalences sonores à partir de la lecture du mot qui lui a été faite par l’enseignant. Par contre, si les enfants sont soumis à un apprentissage portant exclusivement sur les équivalences entre phonèmes et graphèmes et ne lisent que des phrases composées de mots uniquement composés avec les graphèmes appris et celui en cour d’acquisition, leurs chances de décryptage précis des graphèmes par leur vision fovéale et péri-fovéale sont considérablement augmentées.

C’est pour cette raison que les enfants du groupe 1 de l’étude précitée obtiennent de meilleurs résultats que ceux du groupe 3 ainsi que ceux du groupe 2 qui reçoit cet apprentissage phono-graphémique dans un 2ème temps, après avoir d’abord utilisé une méthode phonique analytique partant de mots connus au cours de laquelle ils auront mémorisé des combinaisons grapho-phonémiques erronées.

Cette réalité liée à la nature même de la vision des lettres lors de la lecture permet de comprendre l’intérêt de l’apprentissage précoce du code alphabétique, avant toute autre forme de contact systématique avec l’écrit.

Cet apprentissage précoce du code à l’école est d’autant plus important que les enfants ont été en contact avec l’écrit bien avant l’âge scolaire. Leur cerveau étant incapable de reconnaître les mots dans leur ensemble a mis en route, dès le plus jeune âge, des mécanismes de recherche d’équivalence entre sons de la langue orale et les signes graphiques observés. Ces essais sont souvent sources de confusions et l’enfant aborde les classes maternelles en se trouvant déjà pénalisé par le travail qu’il a effectué seul en ce domaine. Le premier devoir de l’école doit donc être de corriger d’éventuelles erreurs déjà installées et de fournir aux enfants les compétences qui leur manquent pour aborder correctement l’étude du langage écrit. Tous les exercices qui favorisent la perception de l’espace, la reconnaissance des formes graphiques et leur orientation dans l’espace, la reconnaissance et la discrimination des sons, l’enrichissement du vocabulaire et l’apprentissage de la maîtrise syntaxique et de la compréhension de la langue orale doivent être très rapidement mis en oeuvre et pratiqués tout au long des classes maternelles et de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture dont ils ne doivent jamais être dissociés. Ces classes ne doivent, en aucun cas, renforcer les risques d’erreurs en proposant des mots entiers, même si c’est pour en isoler les graphèmes. Or, toutes les classes maternelles en France proposent, comme nous l’avons signalé ci-dessus, un premier contact avec l’écrit basé sur la reconnaissance des prénoms et l’apprentissage de mots outils avec l’espoir de familiariser les enfants avec le code alphabétique. Ceux-ci se trouvent donc, à l’entrée du CP, dans la situation des élèves anglais du groupe 2. Il ne faut pas s’étonner, dans ces conditions, que leurs acquisitions, en lecture et écriture soient, trop souvent, de mauvaise qualité.

En conclusion, nous pouvons affirmer que l’approche synthétique est la méthode la plus efficace pour accéder à la connaissance du code alphabétique et à la compréhension de la lecture.

Cette technique d’apprentissage, associé à celle de l’écriture, avec utilisation et manipulation des graphèmes pour faciliter la mémorisation de leur correspondance avec les phonèmes qu’ils représentent, constitue, en l’état actuel des connaissances, la pédagogie la plus adaptée pour permettre la réussite du plus grand nombre des élèves. Les données scientifiques sur lesquelles nous pouvons nous appuyer, conduisent à trancher en ce sens. Les faits constatés expérimentalement confirment les données issues des études théoriques. Il suffit maintenant, pour convaincre ceux qui pourraient encore douter, de pratiquer en France, comme je l’ai suggéré ci-dessus, des observations identiques à celles qui ont été réalisées en langue anglaise. Les résultats parleront d’eux-mêmes.


(*1) Franck RAMUS
Chargé de recherches CNRS au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique.
http://www.ehess.fr/centres/lscp/persons/ramus/lecture/lecture.html

(*2) Rémi BRISSIAUD, Maître de Conférence à l’IUFM de Versailles.

(*3) Rapport du National Reading Panel “Teaching Children To Read”. 2002.

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(*4) Le rapport JOHNSTON-WATSON intitulé « the effects of Synthetic Phoinics Teaching on Reading and Spelling attaintement. A seven years longitudinal study ». est disponible sur le site
http://www.scotland.gov.uk/library5/education/ins17-00.asp

(*5) « Comparaison des rendements des différentes méthodes d’enseignement de la lecture ».
http://www.enseignementliberte.org (voir dans dossier « apprentissage de la lecture » l’étude ENSAE de juin -juillet 2006)


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